Retours sur la création de PIG BOY

Retours en images sur les représentations de Pig Boy de Gwendoline Soublin avec les étudiants de HK option études théâtrales.

Le projet est initié en janvier avec la rencontre avec Céline Ohrel, directrice artistique de la compagnie Diplex, auteure, comédienne et metteure en scène, artiste associé à la Comédie de Caen.

C’est le temps des premiers travaux à la table: lectures, réflexions sur le texte, les résonances avec l’actualité (xénogreffe d’organes de cochons sur des patients humains, marasme du monde agricole, mouvements antispécistes et animalistes…) comme les modes d’écritures très distincts des trois parties. Occasion aussi de questionner l’audace des choix: si le choix d’un personnage de cochon n’est pas inédit au théâtre (Raymond Cousse…), la chronique du monde paysan des années 80 et la tendance à la science-fiction dystopique des deux parties suivantes sont plus rares.

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Pig Boy commence par l’histoire d’un jeune agriculteur de sa naissance à son suicide, acculé à la faillite et à la misère par la crise du monde agricole, les appétits de la grande distribution et de l’industrie agro-alimentaires (une certaine entreprise Perta…). Toute cette tragédie de la première partie se présente sous la forme d’une narration épique à la deuxième personne du singulier, à la façon des « livres dont vous êtes le héros » (« dans l’histoire dont tu es le héros, tu es pressé »), entrecoupée de choix (« 1. vous reprendrez l’exploitation familiale à votre majorité./ 2. Vous abandonnerez votre tertre à un étranger »). Du jeune personnage, prématurément vieilli par cette chronique accélérée, nous n’avons jamais les paroles, d’où le choix d’un choeur de femmes (paysannes? huissière? Parques?) qui relatent en, accéléré les stations du chemin de croix de Théodore progressivement broyé par les dures réalités du monde agricole, la solitude et l’éloignement de la vie espérée.

En plus des narratrices du choeur se sont ajoutés d’improbables personnages de candidates de Miss France dont l’émission est regardée par les parents de Théodore et qui rappellent un ancrage populaire et provincial moins fréquent au théâtre. Par elles se formulent des choix fondamentaux de la vie de Théodore (« 1. Ne plus y penser. / Y penser tout le temps » ou « 1. Vous êtes un cow-boy. / 2. Vous n’êtes rien »…) qui finissent par n’être plus des choix tandis que Théodore se laisse broyer par la situation et s’évade dans l’imaginaire du western, de John Wayne et d’Il était d’une fois dans l’Ouest devenu le leitmotiv musical récurrent du spectacle.

Un futur proche?

Volte-face avec la seconde partie qui repose sur le déroulement d’une émission en « translive », suivie par les réseaux sociaux, animée par des présentateurs survitaminés, entrecoupée de slogans et de placements de produits… Emission qui est en fait le 56ème épisode d’une série de procès en direct avec rappel des faits et reconstitution sur-dramatisée où un like suffit à clore une procédure et un vote des internautes à décider d’une sentence. Et c’est le procès de Pig Boy, cochon-mascotte de la marque Perta, retrouvé au lit avec une militante antispéciste en pleine addiction aux shoots virtuels; ce procès se tient dans un curieux mélange entre procédure judiciaire, relents médiévaux des procès pour animaux et de l’hystérie inquisitrice, et émission de variété racoleuse. Les commentaires des internautes en ligne fusent, pour le meilleur comme pour le pire, Pig Boy, objet de toutes les attentions et questions, demeurent, cochon qu’il est, un accusé muet dont le silence redouble la vindicte et la folie de ceux qui l’entourent. On apprend à cette occasion que Pig Boy est le descendant d’un cochon de l’élevage de Théodore, l’éleveur breton de la première partie. Dans la folie générale qui conduit à des suicides en direct, le PDG de Perta, sorte de Steve Jobs charismatique, vient affirmer qu’il renonce à son ami et sa mascotte et offre de convertir les truies d’élevage en incubatrices pour des bébés humains destinés à servir de stock de pièces détachées pour les vivants.

Le choix a donc été de constituer un plateau d’émission avec prise de vues en direct par une réalisatrice, régie son, publicité et modération des flux et réseaux présente sur le plateau. Un échantillon du public réel est invité à devenir le public plateau de l’émission, menée par un présentateur-chanteur-bonimenteur. Dans l’espace du public réel, des commentateurs assistent à l’émission sur leur téléphone et verbalisent leurs commentaires, souvent radicaux, parfois décalés, dans la salle. Pig Boy, muet dans le texte à l’exception d’un moment de grognements, se tient dans un carton flanqué du logo Perta, d’où s’échappent sons et mouvements violents. Progressivement la distinction entre le plateau de l’émission et les gradins des spectateurs réels et des commentateurs s’estompe: des spectatrices hystériques se suicident en direct à l’exemple de l’avocate de Pig Boy dans une forme de performance radicale, la sentence émane de voix du public, le clip musical du moment (Youriiiiiiiiii!), les interventions des vigiles comme les votes mêlant toujours davantage les personnages au plateau et le public de la salle rendant les distinctions entre acteurs et spectateurs, fiction et réalité mais aussi entre virtualité et présence toujours plus poreuses. Il y a donc une perturbation des rapports qui accompagne l’hystérisation de la fable: l’émission est l’occasion de performances radicales (des suicides en série, des manifestations antispécistes, jusqu’à la quasi fête finale, où le sacrifice du cochon dévoré par les flammes reconduit des souvenirs médiévaux au travers du comportement grégaire et de la fusion des groupes d’acteurs.

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La dernière partie rompt radicalement avec cette agitation: la fable est celle d’une truie échappée d’une clinique où elle doit supporter la gestation en série de bébés humains véritables réservoirs de pièces détachées pour les hommes en quête d’immortalité. Tout passe par un monologue entrecoupé et haletant, où la truie et son langage s’humanisent pour produire une critique de la déshumanisation des hommes. Rêve de retour à la nature, aux sensations, et à une nouvelle vie loin des hommes et de l’artificialité de leur vie, cette partie culmine avec l’adresse de la truie à ses petits, petits hommes qu’elle doit accueillir en son ventre et petits porcs qu’elle rêve de pouvoir à l’avenir enfanter, ainsi qu’à John Wayne et au souvenir mythifié du geste de Théodore (première partie) dont la mémoire se serait déposée dans l’espèce: de la fuite angoissée on passe ainsi à l’apothéose d’une nouvelle espèce avec le western comme Dieu.

Véritable retombée après les outrances de la seconde partie, ce monologue a été mis en scène dans une pénombre qui déroute le regard, la voix de la comédienne passant par un micro qui saisit les nuances du souffle, des halètements, et la syntaxe d’abord cassée, inappropriée de cette truie accédant au langage et à la conscience. La lenteur, la pénombre, le creusement du texte visent une expérience plus intime, plus introspective, plus humaine paradoxalement que les frasques des hommes et spectateurs précédents. Progressivement, c’est l’espace des spectateurs (les seuls ou derniers hommes?) qui est parcouru et accaparé par le personnage de la truie et ses multiples descendants, corps demi dénudés qui, telle la mer, monte lentement à l’assaut des gradins et des spectateurs. L’apothéose finale, sur fond du leitmotiv d’Ennio Morricone se produit au sommet des gradins (au sommet de la pyramide alimentaire, de l’évolution?) dans le rougeoiement d’un lever de soleil qui reprend ces images d’incendie, de combustion et de lumière aveuglante qui ont déjà conclu les autres parties.