Un texte de Roland Schimmelpfennig mise en scène par Elise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo au théâtre d’Hérouville, le mardi soir à 20h.
Le spectacle mis en scène ce soir-là ne respecte en rien les schémas narratifs habituels, les spectateurs moyens, sommes accoutumés à regarder. Nous avons assisté à une représentation qui tenait du spectacle pour grands enfants et en même temps, une grande critique du milieu culturel et une métaphore de nos sociétés néolibérales, plus précisément, du milieu artistique en ce début 2020.
Dans un premier temps, nous assistions à une représentation du royaume des Animaux dans lequel les acteurs mettaient en scène un véritable conflit dans la savane entre le lion et le zèbre. Tout cela était mis en forme d’une manière particulière, une sorte de théâtre pour enfants. Les musiciens étaient visibles sur le côté, un orchestre fait d’une batterie et d’autres instruments, les acteurs sont costumés comme des animaux et restent en permanence habillés de cette manière, qui finit même par leur coller à la peau. Ils sont même accompagnés de masques travaillés qui sont en contraste face aux autres costumes. On ne pouvait les identifier en tant qu’humains. Cette déshumanisation était appuyée par l’utilisation de micros, qui rajoutait un effet plus imposant à la représentation. Cela tenait quelque peu d’un spectacle pour enfant qui pouvait émerveiller. Ici, les acteurs s’adressaient à nous d’une manière épique et s’amusaient à dépeindre la rivalité entre les animaux. Le roi semble unir les animaux autour d’une personne mais reste à savoir qui elle sera. De plus, certaines parties étaient chantées et données une impression de comédie musicale à la Disney, c’est l’aspect mercantile qui est critiqué ici. Pourtant quelque chose, un je ne sais quoi, sonnait faux dans cette symphonie. Je ne pouvais me permettre de croire à cela. La concorde parmi les animaux était rompue comme parmi les humains.
Nous avions la partie « envers du décor », entrecoupées avec les parties jouées des animaux, dans laquelle nous pouvions voir les acteurs avec leurs problèmes personnels, thématiques communes dans le milieu de la culture. Le directeur de la troupe semble peu respecté par ses propres acteurs, Pierre veut la vedette à son tour et désire celle qui interprète la Gazelle. Celle-ci souffre de son retour après un accouchement. La fable des animaux est une transposition à la vie des acteurs. Elise semble en décalage et hésite. Son projet artistique est ignorée et rejeté de tous. Chacun suit ses propres intérêts sans prêter attention aux réelles préoccupations des autres et ne supporte plus de jouer aussi longtemps, neuf fois par semaine depuis six ans. Tout cela supervisé par des dirigeants invisibles et qui semblent être dans des bureaux et qui se contentent de respecter les objectifs fixés. Ils sont absents de la scène mais leur poids est omniprésent : « Ils négocient ou pas ? ». L’alternance entre les scènes jouées sous forme d’animaux et la vue des loges permet de comprendre cette vie entre les comédiens que l’on suppose mais que l’on ne connaît pas. Dans un plus long moment, Marcial héberge chez lui le metteur en scène du moment. Il est désespéré et fait tout pour le garder, il finit même par changer de milieu artistique et disparait de la scène. Le Roi poursuivi est mort et cherche un autre moyen de vivre par-delà le théâtre alors que les autres s’effondrent dans une spirale terrible, dans lequel ils deviennent des objets que l’on peut utiliser. Le jeu perd son sens comme leurs actions. La volonté d’utilité permanente, dans laquelle l’art doit avoir cette fonction utilitariste que le système néolibéral impose, est remise en cause par la dernière partie.
Spatialement, on note trois parties. La première se démarque par le mécanisme des deux arbres d’une grande hauteur qui, lorsqu’ils sont retournés, révèlent les loges des comédiens, ce qui appuie le lien proche entre scène et vie privée. Puis, c’est un deuxième décor avec un canapé blanc sur la gauche de la scène et une sorte de grand drap blanc qui entoure les arbres de la Savane en fond de scène. Le jeu se compose entre la discussion de Marcial et de l’auteur et appuie la disparité du groupe. Le directeur d’un côté et les autres acteurs derrière. Ils se retrouvent tous enfermées dans des rapports de force qui se sont créés entre les personnages. La dernière partie se fait en front de scène et est l’aboutissement du ridicule et de la critique du monde culturel, l’écrivain fameux se trouve à droite de la scène et prépare sa pièce, il imagine son projet tandis que les acteurs apparaissent costumés sous forme d’objets, l’œuf au plat, la poivrière …
Le mélange perpétuel prouve que la vie du comédien n’est jamais loin de la scène et ici, elle est poussée à l’extrême, le Marabout commence à avoir les plumes qui lui collent à la peau. L’alternance quasi-perpétuelle démontre cette idée que la relation entre la scène et le plateau ne disparait jamais. Toutes ces sphères s’entrecroisent et cela se démarque la rapidité des échanges et des différents échanges entre les acteurs.
Cette mise en scène dénonce les conditions du milieu culturel actuel en nous montrant la crise que ce milieu subit et essaye de traverser à grand mal et comme nous l’avons vu ce soir-là, leur réification trahit leur situation.
Mattis V.-R.