La tristesse fait partie des six émotions primaires. Elle est liée à la privation, autrement dit à l’expérience de la perte. Je suis triste lorsque je suis privée de quelque chose qui a de la valeur à mes yeux, que ce soit quelque chose de concret comme une personne ou un objet, ou quelque chose de plus conceptuel comme de la reconnaissance ou un idéal que je m’étais fixé. La tristesse permet de révéler un manque affectif et par effet de miroir met en avant la présence d’un besoin affectif. Elle est donc essentielle car elle est le signe qu’un besoin n’a pas été comblé.
De ce fait, la tristesse est perçue comme un sentiment négatif car elle est associée à la peine et la douleur comme en témoignent de nombreuses expressions comme « broyer du noir », « avoir le cafard», « avoir la mort dans l’âme », « en avoir gros sur le cœur », « avoir des bleus à l’âme ». L’émotion en elle-même peut être plus ou moins intense, plus ou moins difficile à vivre, d’autant plus qu’elle peut passagère aussi bien que durable. Cependant, la douleur réside aussi en partie dans le fait qu’on a tendance à vouloir l’occulter. On tente de passer outre pour ne pas y faire face rendant encore plus douloureux le moment de la confrontation avec notre émotion. Comme toutes nos émotions, la tristesse a un rôle important et son but n’est pas de nous faire souffrir bien au contraire. Elle est avant tout un signal qui dit « attention il y a un manque ». A partir du moment où l’absence qui fait souffrir est identifiée on va pouvoir tout d’abord l’extérioriser et mettre des mots dessus mais cela n’est pas suffisant pour la faire disparaître. Identifier le besoin en souffrance c’est pouvoir par la suite soit le combler soit apprendre à vivre avec (deuil). Nier qu’on est triste c’est nier qu’il y a une souffrance et s’il n’y a pas de souffrance identifiée alors aucune démarche ne peut être mise en place pour la soulager. Autrement dit, reconnaître que l’on est triste c’est déjà faire un pas vers notre guérison, on ne peut faire le deuil de quelque chose (soit se résigner à en être privé) que si on admet qu’on l’a perdu.
La tristesse fait partie des six émotions primaires. Elle est liée à la privation, autrement dit à l’expérience de la perte. Je suis triste lorsque je suis privée de quelque chose qui a de la valeur à mes yeux, que ce soit quelque chose de concret comme une personne ou un objet, ou quelque chose de plus conceptuel comme de la reconnaissance ou un idéal que je m’étais fixé. La tristesse permet de révéler un manque affectif et par effet de miroir met en avant la présence d’un besoin affectif. Elle est donc essentielle car elle est le signe qu’un besoin n’a pas été comblé.
La tristesse est une émotion qui se contrôle plus ou moins bien, en règle générale on a plutôt tendance à la refouler pour ensuite la laisser éclater dans un moment de solitude ou en présence de personnes de confiance. La tristesse ne se manifeste pas toujours de façon spectaculaire, de même qu’elle peut très bien se passer de larmes. On remarquera qu’il est sûrement plus facile de dissimuler sa tristesse (à moins qu’elle soit particulièrement forte) que de dissimuler sa joie par exemple. La tristesse semble également éclipser toute autre émotion, on peine à prendre plaisir à des choses qui, en temps normal, nous font sourire. La tristesse a ceci de particulier qu’elle semble être projetée sur tout ce que l’on fait ou ressent. Si sa vivacité s’atténue, elle reste présente comme une musique de fond dont l’on peine à se débarrasser.
Physiquement, cette émotion se traduit le plus souvent par un repli sur soi, autant au niveau du visage que du corps. L’expression du visage se ferme avec les commissures des lèvres orientées vers le bas, les sourcils en position oblique et le regard absent, brillant et parfois humide à cause de pleurs. Le corps lui se referme sur lui-même et il n’est pas rare que la tristesse s’accompagne d’un sentiment d’oppression. On observe également un ralentissement du rythme cardiaque. Ainsi, le visage et le corps sont comme figés dans une attitude fuyante qui trahit une souffrance liée au manque affectif ainsi que la volonté d’échapper à cette souffrance. La voix est, elle aussi, largement impactée par cette émotion : elle peut être voilée, atone voire rauque à cause des pleurs versés. De plus on a souvent du mal à parler lorsque la tristesse se fait sentir à son paroxysme, la voix peine à sortir et on a l’impression d’avoir la gorge nouée.
Néanmoins la tristesse étant une émotion très personnelle, la façon de la ressentir et de l’exprimer peut être très différente d’une personne à l’autre. Elle peut être vécue de façon retenue, avec simplement une mise en retrait de la personne qui se traduit par un silence, l’immobilité du corps, un manque d’enthousiasme et d’énergie allant parfois jusqu’à l’aphasie. Cependant, si lorsque l’on évoque la tristesse on pense le plus souvent aux larmes c’est aussi parce que c’est une émotion qui n’est pas qu’intérieure. Les larmes, la voix, l’expression du visage sont autant d’indices visibles par une personne extérieure.
Ainsi, si l’on ne peut exiger de l’acteur qu’il ressente une tristesse authentique, compte tenu de la difficulté d’une telle action, la tristesse comporte une large palette de caractéristiques physiques et vocales sur lesquelles il lui est tout à fait possible de s’appuyer. Encore mieux, l’acteur à la possibilité de jouer sur les deux modes d’expression de l’émotion, l’une intérieure et l’autre plus extérieure, permettant de toucher différemment les spectateurs.
Intrascénique, la tristesse n’a pas toujours pris la même forme. Ainsi, dans les tragédies classiques comme celles de Racine, ce qui est observé n’est pas une représentation réaliste des émotions, ici de la tristesse. Au contraire, Racine essaye moins de reconstruire l’émotion dans les gestes que dans la parole. Dans Bérénice, c’est davantage à travers les mots que les personnages exposent leur tristesse voire leur désespoir (tristesse extrême). Et si gestes il y a, alors on notera que les grands mouvements sont préférés parfois jusqu’à l’exagération. On le voit notamment dans Phèdre paPatrice Chéreau où l’actrice de Phèdre exprime son désespoir en se repliant sur elle-même jusqu’à s’effondrer au sol. Elle se cache avec ses bras et se lamente. Une telle attitude nous semblerait extrême dans la vie quotidienne, du moins on ne la cautionnerait que pour les malheurs particulièrement violents ou venant de personnes instables émotionnellement. Or au théâtre on l’accepte mais parce que ce choix de mise en scène ne cherche pas à susciter de la tristesse chez les spectateurs mais de la pitié pour le personnage. La langue très élégiaque de Racine mêlée à une partition physique très poussée et démonstrative permet de toucher le spectateur qui peut compatir à la douleur du personnage mais de façon distanciée. A noter cependant que l’un ou l’autre fonctionnent également seul, comme en témoigne l’Electre I de Vitez où la quasi-immobilité des actrices n’enlève rien à la puissance du dialogue. La difficulté réside dès lors dans la façon dont l’on va signaler l’émotion, c’est-à-dire dans le choix des signes et leur nombre. En effet, il est intéressant de remarquer qu’il est plus facile de s’émouvoir devant quelqu’un de triste mais qui l’exprime peu ou de façon retenue que devant une scène théâtrale où tous les signes visant à signaler l’émotion sont réunis. Le risque est de tomber dans le pathos et de perdre l’aspect spontané et par conséquent émouvant de la tristesse. A noter que cet effet d’exagération peut être voulu par l’auteur ou le metteur en scène afin de dédramatiser la situation voire parfois de la tourner en dérision : dans ce cas la tristesse intrascénique n’aura pas pour conséquence la tristesse des spectateurs.
Lorsque l’on se tourne vers des pièces plus contemporaines, on constate que l’acteur n’aborde plus la tristesse de la même façon qu’avant : il la vit plus simplement, cherchant d’abord à la ressentir intérieurement (ou du moins de mettre son corps dans les mêmes dispositions que dans un état de tristesse) avant de chercher à l’extérioriser afin qu’elle soit visible pour le spectateur. C’est donc une tristesse moins visible peut-être physiquement avec des pleurs silencieux, un repli sur soi moins spectaculaire (au sens où cela se donne moins à voir), une voix cassée chargée d’émotion. Parfois même un silence peut suffire à exprimer la tristesse d’un personnage. Le spectateur est ainsi confronté à une émotion qui apparaît comme plus personnelle car elle prend une forme particulière et qui, par son caractère presque pudique, lui permet aussi de laisser son imagination se faire sa propre idée de ce que traverse le personnage.
La tristesse d’un personnage nous affecte toujours d’une manière ou d’une autre et l’on est souvent amené à ressentir nous aussi de la tristesse mais celle-ci est davantage tournée vers le personnage que vers nous-même. Extrascénique, la tristesse relève davantage de l’empathie : on se projette à la place du personnage pour entrapercevoir sa douleur. Ainsi dans Tristesse et joie dans la vie des girafes mis en scène par Thomas Quillardet, on rencontre Girafe une petite fille qui vit seule avec son père. Très vite on comprend que la mère est morte mais cela n’est abordé réellement qu’une fois par Girafe elle-même. La tristesse du spectateur est liée à la situation et compatit à la douleur du père et de l’enfant. Ce spectacle est aussi un bon exemple pour montrer que la tristesse n’a pas nécessairement besoin d’être explicitée et montrée clairement pour toucher le spectateur. Ici, pas de grandes effusions ni de larmes : la tristesse du père et de Girafe transparaît dans la façon dont il parle de et avec la femme disparue, tristesse qui est aussi accompagnée d’une certaine tendresse.
Il peut arriver également qu’un spectateur retrouve dans la tristesse d’un personnage sa propre tristesse (récente ou non) : la tristesse ressentie est alors différente de l’empathie. Ainsi la scène de la mort de la mère de Peer Gynt dans la pièce du même nom mise en scène par David Bobée, peut être particulièrement émouvante pour ceux qui ont perdu leur mère car il se retrouve face à une tristesse qu’ils ont déjà connue et qu’ils connaissent encore, bien qu’elle soit apaisée. La tristesse du personnage entre en résonance avec celle du spectateur, à la fois par la situation qu’il a déjà vécue mais peut être aussi par la réaction de Peer Gynt qui continue de la bercer en lui racontant leurs prochaines aventures alors qu’elle est déjà partie. Le spectateur s’identifie dans cette attitude de refus de la perte d’un être cher qui est assez commune et fait d’ailleurs partie du deuil.
Intrascénique comme extrascénique, la tristesse est une émotion qui peut s’avérer complexe et ainsi prendre plusieurs formes ou plus précisément qui peut être mêlée à d’autres émotions. Lorsque Helen et Danny, dans Orphelins de Denis Kelly, font face à Liam, le frère de cette dernière, et qu’ils découvrent par la suite qu’il a frappé quelqu’un jusqu’au sang, ils ne sont pas d’accord sur la démarche à suivre : Helen veut protéger son frère, Danny veut le dénoncer et si possible sauver l’homme qui a été agressé. La confrontation entre les deux est difficile et va mettre à mal le couple : les cris fusent avant de laisser place au silence. Helen se met alors en retrait en s’asseyant parmi les spectateurs : elle pleure mais l’on peut supposer que ce n’est pas dû qu’à la tristesse, elle est aussi en colère. Colère contre son frère et son irresponsabilité, colère contre son mari qui ne la soutient pas et ne la comprend pas, voire colère contre elle-même : la tristesse exprimée par ses pleurs traduit alors la frustration et l’impuissance qu’elle ressent face à une situation compliquée.
Et de la même façon, la tristesse au théâtre n’exclue pas la joie ou le plaisir, en particulier pour le spectateur. En parlant de Bérénice, Racine évoquait « la tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie » : tristesse et plaisir peuvent être lié et plus encore s’exprimer en même temps grâce « à la mise en mots de la tristesse » (Arts et Emotions) par le biais des alexandrins. La tristesse émeut le spectateur moins pas la nature de l’émotion même que par la forme qu’elle prend : la tristesse aboutit dès lors à un plaisir esthétique chez le spectateur. Et au-delà de l’esthétique, c’est le partage même de l’émotion avec les autres spectateurs, la sensation d’appartenir à une communauté qui peut être à l’origine du plaisir.
Maëlle B.
Sources : Arts et Émotions : « tristesse » ; Arts et Emotions : «émotions négatives » ; Orphelins de Denis Kelly (mise en scène par M. Legros et S. Lebrun) ; Bérénice de Racine (mise en scène P. Chéreau) ; Peer Gynt d’Ibsen (mise en scène par David Bobée) ; Tristesse et joie dans la vie des Girafes de Tiago Rodrigues (mise en scène par Thomas Quillardet)