A Bright Room called day: jeux d’époques et parallèles politiques

Le 14 décembre 2021 s’est tenue dans la salle d’Hérouville de la Comédie de Caen une
représentation du spectacle A bright room called day mis en scène par Catherine Marnas. Le texte
de ce spectacle est écrit par Tony Kushner. Il s’agit d’une réécriture de sa pièce de 1985 ce qui lui
permet de remettre à jour le propos politique de la pièce en s’adaptant aux réalités du XXIème siècle
(comme l’élection de Donald Trump). Durant ce spectacle, le spectateur est transporté entre trois
époques : l’Allemagne des années 30, les États-Unis des années 80 et les États-Unis après l’élection
de Donald Trump. La superposition des trois époques permet de montrer leurs similarités : un
homme que personne ne voyait arriver au pouvoir y accède et une large majorité de la population
semble ne rien vouloir/pouvoir faire pour l’arrêter. Cependant, le spectacle ne tombe pas dans le
fatalisme et les interactions directes ou indirectes entre les trois époques permettent de laisser au
spectateur la liberté au spectateur d’imaginer des échappatoires ou des solutions pour échapper au
totalitarisme. Sans faire participer directement le spectateur à la réflexion sur les totalitarismes et le
culte de la personnalité le travail sur le rapport avec le spectateur et l’enchevêtrement des périodes
de l’Histoire permettent tout de même de pousser le spectateur à la réflexion personnelle sur les
sujets abordés par la pièce.


La construction de parallèles entre trois époques distinctes : la montée du nazisme et l’accès
au pouvoir d’Hitler dans l’Allemagne des années 30, les deux présidences de Ronald Reagan dans
les années 80 aux États-Unis et l’Amérique post élection de Donald Trump permet de montrer les
similarités qu’elles partagent. Toutes ces époques ont vu une ascension d’un homme cultivant une
forme de culte de la personnalité sans susciter de réelles réactions de la part de la population. La
superposition de ces trois époques permet donc de montrer les différentes réactions qui existent/qui
ont pu exister vis à vis de cette montée des « totalitarismes » (terme contestable quand il s’agit des
présidences de Ronald Reagan et de Donald Trump malgré des ressemblances indéniables avec
l’Allemagne nazie). Cette représentation met en scène aussi bien l’acceptation de l’intolérable
(personnage de l’actrice de l’Allemagne des années 30), l’abandon face à ce qui semble
insurmontable (Agnès), la fuite (les communistes) ou encore la lutte (l’activiste des années 80).
Cette multitude de réactions permettent de pousser le spectateur à réfléchir sur leur légitimité et à
ses propres réactions face à des situations similaires (ce qui est favorisé par l’ajout de la présidence
de Donald Trump dans la dramaturgie). Les époques postérieures font également des références aux
époques antérieures (le concert de l’activiste se superpose à des diapositives sur l’Allemagne nazie,
Trump est évoqué dans le conteste des années 80 et des années 2010) ce qui permet de renforcer les
parallèles entre ces périodes et favorise une prise de conscience chez le spectateur.

Le rapport créé avec le spectateur dans A bright room called day permet de l’inviter à rester
attentif aux différentes questions politiques et morales que posent le texte (culte de la personnalité,
totalitarismes, l’absence de réaction de la population). Trois ambiance distinctes sont crées pour
travailler sur ce rapport avec le spectateur. L’ambiance de l’Allemagne des années 30 qui, au
premier abord, semble reprendre les codes du théâtre bourgeois (quatrième mur, jeu entre les
comédiens) vient en fait décevoir les attentes du public. Les personnages de la pièce vivant à
l’époque de l’Allemagne nazie franchissent ce quatrième mur et s’adressent directement au public à
plusieurs reprises exposant la complexité de leurs émotions et de leurs positions face à l’ascension
d’Hitler. L’ambiance des années 80 n’est pas sans rappeler des concerts plus ou moins clandestins et
l’esprit des protest songs des années 60 et 70 (l’activiste propose d’ailleurs des moments musicaux
qui ne sont pas sans rappeler l’esprit des protest songs) le public devient l’audience de son concert.
La période post- élection de Donald Trump propose encore un autre rapport au public. L’auteur se
trouve dans le public avant de monter sur scène créant une confusion et rapprochant les spectateurs
de son discours sur la présidence de Donald Trump. Grâce à ces différents rapports le public est
amené à aborder les questions posées par le texte selon différentes perspectives et différents états
émotionnels.

Nous ne pouvons pas non plus ignorer la capacité de cette mise en scène à tourner en
dérision certains codes de représentation et certaines grandes figures du théâtre. Ces détournements
permettent à la fois de créer un rapport avec le spectateur qui le maintien en alerte tout au long de la
pièce ainsi que de donner à la représentation . Ils jouent sur ses attentes et sur ses représentations à
la fois du théâtre, des figures du théâtre ou encore de l’auteur.

– La figure de l’auteur est probablement celle qui est le plus tournée en dérision par la pièce.
Celui-ci doit constamment justifier ses choix devant la « chanteuse/activistes des années
80 » et devant le public. Il est moqué par ses personnages et semblent perdre un « pouvoir
créateur » que le public Il finit même par réécrire sa pièce selon les demandes de l’activiste,
lui permettant d’interagir avec les personnages de l’Allemagne nazie.
– La figure du diable est également sujette à la dérision. Le diable est une des figures les plus
célèbres de la culture occidentale et également une des figures célèbres du paysage théâtral
notamment grâce au texte de Goethe Faust. Cette figure, classiquement représentée comme
omnisciente, dangereuse et à l’abri des punitions terrestre est grandement diminuée dans la
pièce de Kushner. Le diable apparaît en homme souffrant, soumis comme les hommes aux
lois du vieillissement et de la maladie. Cette représentation du diable permet au spectateur
de comprendre que les figures politiques évoquées dans la pièces, qui semblent impossible à
abattre, sont, en fait, comme tous les hommes sujettes au vieillissement et à la déchéance.
– La dramaturgie de la pièce vient également jouer sur les attentes des spectateurs. Les règles
sont établies au début de la pièce. Il y a trois époques et elles ne peuvent pas communiquer
entre elles. Cependant, elles finissent par interagir (l’auteur peut se promener dans les
espaces réservés à chaque époque et l’activiste peut finalement parler à Agnès). La
superposition des voix venant de différentes époques permet également de venir renforcer
les parallèles entre les époques et d’actualiser les situations de personnages qui ne vivent pas
à la même époque que les spectateurs.


Ce spectacle joue donc bien sur les attentes et l’imaginaire des spectateur. Cela lui permet à la fois
de renforcer son discours sur les totalitarismes et le culte de la personnalité ainsi que de maintenir le
spectateur en alerte et donc de le rendre plus disponible à la réflexion silencieuse.
Ce spectacle par son travail sur la superposition des voix et des époques, sa dérision des
codes et des figures du théâtres et la création d’ambiance et de rapports différents avec le public
permettent d’encrer le spectateur dans un univers de réflexion dans lequel il est certes passif mais
tout de même encouragé à penser et le maintiennent dans un état d’éveil intellectuel.