Rémission, plongée dans une boîte à souvenirs

Le spectacle Rémission est un seul-en-scène qui a été joué le 29 septembre 2021 au théâtre des cordes de la comédie de Caen. Le projet du spectacle, c’est de mettre en scène le témoignage d’une femme, Fred, qui devient une anti-capitaliste convaincue, dégoutée du monde dans lequel elle vit. La rage et la résilience du personnage se ressentent particulièrement. Ce spectacle veut recréer chez le spectateur le stress de la vie passée de Fred par le biais d’effets divers, tels que la longueur d’une scène (comme le moment très long et pénible où Fred mange ses pâtes) ou encore des éléments psychadéliques à la fois envoûtants et troublants (à l’instar de la danse avec le masque de renard)

L’espace est délimité par une armature en métal en forme de paralléllépipède, Au dedans, l’actrice joue et au dehors, le public regarde. Cette cage n’est pourtant pas hermétique ; l’actrice passe souvent au travers pour se changer ou alors pour s’adresser aux techniciens ou au public. La cage est illuminée par ses arêtes. Elément remarquable, elle rappelle au spectateur de manière implicite l’enfermement de la femme dans la société. Cette boîte renferme sa vie privée, mais elle est un élément surexposé, très visible et exhibé. une sphère privée qui est particulièrement surexposée et absolument pas hermétique. Sa cage n’est composée que d’arêtes, elle peut passer au travers, puisqu’elle est sortie de l’enfer décrit, mais au milieu du spectacle, quand elle commence à se rappeler des moments les plus difficiles qu’elle a vécus à Paris, elle reste au dedans, comme prisonnière. Cette cage fine, mais pourtant très visible est une forme de souvenir de ce passé sombre qui la hante. À l’intérieur de cette cage, le tableau et l’atmosphère musicale et lumineuse changent en fonction de son état d’esprit et/ou du lieu de l’action. Ils se transforment ainsi en discothèque, en appartement, en son lieu de travail, ou encore en son « nid d’aigle » actuel. Le lieu est double, il s’agit tout d’abord du plateau où Fred raconte son vécu de manière épique au spectateur et en même temps, il devient une forme de boite de ses souvenirs qui se révèlent au spectateur. Les souvenirs sont aussi soulignés par tout le travail audio-visuel mené. Il y a parfois, en suivant l’histoire de Fred, des captations projetées sur un écran blanc en fonction de ce qu’elle raconte (par exemple, des images de métro, quand elle parle de son trajet dans Paris, ou de boite de nuit, quand elle parle de sa soirée dans une discothèque gay). Ces enregistrements sont par définition des moments capturés par une caméra, elles sont donc de l’ordre du passé. Il y a aussi des intermèdes musicaux avec des musiques qui recontextualisent directement les événements. Call me de Blondie et Girls just wanna have fun de Cindy Lauper évoquent immédiatement au spectateur les années 1980, et le plonge dans cet imaginaire.

Elle raconte le départ touchant de son Alsace natale dans les années 1980 et sa montée à Paris. Là-bas, elle sera complétement embrigadée dans la société capitaliste qui va l’user jusqu’à l’os. Elle ne pourra pas continuer d’endurer toute la pression de ce monde et trouvera refuge dans un antre qu’elle s’est trouvé à Livarot. L’actrice a un jeu très direct et franc avec le public. L’échange semble pourtant compliqué au début de la pièce, elle dit comme premières répliques : « Je n’aime pas beaucoup parler de moi. Je suis venue ici pour disparaître ». Or, en disant celà, elle commence déjà à se confier au public. La scène d’exposition sert dès lors à instaurer une relation de confidence avec le spectateur. Elle lui parle directement. A la fin, elle l’interpellera même pour l’inviter à prendre part à son projet. Le spectacle est ainsi éminement épique. Le dispositif bi-frontal mis ici en oeuvre (voire tri-frontal dans certaines autres représentations) ramène le spectateur à lui même. En voyant les autres spectateurs, il pense à lui aussi qui regarde la pièce. Il mesure sa complicité plus ou moins grande et/ou son embrigadement dans ce système capitaliste qui a détruit Fred pendant quarante ans.

Au cours de ce spectacle, Fred passera par toute sortes d’états émotionnels en témoignant au public de son passé mouvementé: solitude affirmée, solitude douloureuse… Par exemple, elle montre son stress intense face à l’entretien d’embauche, sa résilience en se laissant porter par la musique du club pour échapper à ce monde qui l’oppresse, ou encore la tristesse quand elle raconte avoir pleuré dans les bras de son amie Clara, en passant par la colère en saccageant le mobilier du shooting photo publicitaire. Ces différents états sont soulignés par la couleur des bandes de leds dans les arêtes de la structure. Le moment le plus troublant est sûrement le long moment où elle mange son bol de nouilles asiatiques. Sa manière lente, maladroite et douloureuse de manger ses nouilles montre son état de souffrance. Cette scène est particulièrement longue et répétitive. Elle ne parvient pourtant pas à les finir malgré la longueur de l’effort. Son burnout l’a rendue malade et elle continue d’ingérer ces nouilles, sans s’arrêter, comme pour montrer qu’elle ne peut pas enrayer la machine. De plus, l’autre bol en face d’elle rappelle sa solitude cuisante, qui ne vient pas faciliter tout ses problèmes. A la fin du spectacle, les couleurs se font moins agressives : la structure est blanche. On retrouve une adresse directe. L’intérieur de la cage est quasiment vide (il reste un cube blanc et du terreau étendu par terre). Le spectateur suit la retombée des tensions.

Ainsi, le spectacle Remission offre une boite temporelle au spectateur. Fred l’invite à voyager avec elle et à revenir sur les éléments marquants de sa vie. A la fin du spectacle, le spectateur se prend en pleine face le retour à la réalité. Dans l’idéal, ce spectacle voudrait qu’il lie son monde avec celui de la boite à souvenirs de Fred et se rend compte que c’est le même.

P.L.