Comme chaque année, le programme d’études théâtrales est renouvelé pour moitié. En 2021-22, les oeuvres d’Edward Bond et Jean-Pierre Sarrazac sont remplacées par un autre duo d’oeuvre dramatique et texte théorique, résolument contemporains et politiques.
LES SUPPLIANTS D’ELFRIEDE JELINEK
L’autrice autrichienne , propose avec les Suppliants une coulée verbale sans identité de personnages, où les références classiques (Eschyle, Ovide…) côtoient les médias et l’actualité du moment. Dans une langue dense et nourricière, c’est le sort des migrants et leurs voix qui sont la matière de ce texte, ainsi que la (bonne? fausse? mauvaise?) conscience européenne, dans un jeu qui allie les dorures d’une église autrichienne à la construction des voitures Opel, les tracasseries administratives et les politiques migratoires aux mythes fondateurs d’une Europe née de l’accueil.
« Nous sommes nombreux, mais tout de même peu, nous sommes le filet d’eau qui s’écoulera plus tard du camion frigorifique, quand nous serons enfin morts de froid, et que nous décongèlerons, charriés, lavés, non, pas lavés, mais essorés sur l’autoroute entre les belles superstructures de votre culture, toujours plus haut, toujours plus loin, pour vous protéger contre bruit, pas pour nous protéger, ce n’était pas nécessaire! de dresser des structures que nous ne voyons pas, ça alors, cette voiture a des parois partout, on ne peut pas regarder dehors, on ne voit rien, absolument rien et pourtant nous sommes si nombreux, et on ne nous voit pas pour autant, on s’engage en faveur d’une intervention, mais pas en notre faveur, oui, c’est écrit ici, c’est écrit dans ce livre saint, je suis Dieu, ton Seigneur, non lui non plus, tu dois croire en un dieu, bon, mais lequel? Là il en est un qui nous a entre ses mains, qui a toute notre chute entre ses mains, et qui sans doute nous fait tomber lui-même. Un seul. Bon. Mais nous, nous devons nous répartir, nous devons répartir le Seigneur entre beaucoup de gens, car nombreux sont ceux qui veulent être nos seigneurs et nous faire disparaître. Ils veulent nous montrer le Seigneur, car nous ne l’avons encore jamais vu, nous n’avons pas le droit de le voir, comment pourrions-nous le reconnaître? »
Prix Nobel de littérature 2004, la dramaturge Elfriede Jelinek (Histoires de princesses, Bambiland...) est aussi l’autrice de romans (Lust, la Pianiste…) et de scénarios. Figure controversée dans son pays, à l’image de Thomas Bernhard, elle ne recule pas devant la dénonciation de la complaisance, des arrangements politiques et des illusions lénifiantes de la culture de masse.
C’est aussi une écriture théâtrale inhabituelle, proche de celle d’Heiner Müller, qui ne précise guère la distribution ou l’organisation concrète du plateau mais sollicite toute l’invention de la mise en scène.
LE THEATRE POLITIQUE D’ERWIN PISCATOR
S’y ajoute le texte théorique d’Erwin Piscator, le Théâtre politique. Grand nom de la scène allemande, ami et collaborateur de Brecht, inventeur infatigable de technique de scènes (escalators, cinéma sur scène…) et de formes théâtrales nouvelles (théâtre documentaire, revue…), Piscator (1893-1966) a aussi, par son engagement communiste à l’époque de Weimar, de la montée des périls et de la seconde guerre mondiale, été le promoteur d’un théâtre politiquement efficace.
« Certes, nous, marxistes révolutionnaires, ne pouvons prétendre accomplir notre mission en reproduisant sans critique la réalité, en concevant seulement le théâtre comme « miroir de son temps ». il ne s’agit pas de dominer la situation uniquement à l’aide de moyens théâtraux, d’éliminer la disharmonie en la voilant, de donner de l’homme une vision sublime dans une époque et une société qui en fait le déforment. Bref, le théâtre n’a pas pour mission d’exercer une action idéaliste. La mission du théâtre révolutionnaire consiste à prendre la réalité comme point de départ, à intensifier le désaccord social pour en faire un élément d’accusation et à préparer ainsi la révolution et l’ordre nouveau ».
Mais à cette mission politique du théâtre s’ajoute le génie inventif de Piscator qui demande à la scène de représenter toujours plus qu’elle ne peut, déplace les limites de celle-ci, invente de nouveaux langages et de nouveaux téléscopages.
La seconde partie du programme est reconduite en 2021-21022, il s’agit de la notion d’obscène au théâtre.