Puisque le pandémie nous prive encore des salles de théâtre, fermées jusqu’à nouvel ordre, arrêtons-nous sur l’histoire et l’art du théâtre pour mettre cette mesure de fermeture des théâtres en perspective. Comment et pourquoi ferme-t-on les théâtres? Aujourd’hui, pour rester dans l’air (vicié?) du temps, les fermetures sanitaires.
Lorsque les épidémies frappent, la croyance à la contagion par l’air vicié et/ou le contact justifient la fermeture des théâtres. Pour le théâtre élisabéthain, à l’époque de Shakespeare et pour le 17ème siècle , les fermetures sont légion: 1580, 1592-1594, 1604-1610, 1629-1636… jusqu’à la grande peste de 1665-1666… Ainsi qu’en témoigne cette recherche dans les archives des théâtres (ici le théâtre le Rose) de l’époque:
« Toutefois, les revenus tirés du Rose ne sont pas réguliers d’une année sur l’autre. Ainsi, entre 1592 et 1594, la peste sévit à Londres et plusieurs décisions royales interdisent tous les spectacles publics. En août 1593, dans une lettre qu’il adresse à son gendre, le comédien Edward Alleyn, parti en tournée dans les comtés pour échapper à l’épidémie, Henslowe écrit qu’il s’appauvrit parce que le Rose reste fermé, faute d’acteurs [107][107]Lettre de Henslowe à Alleyn datée du 14 août 1593, éditée dans…. Cependant, cette crise ne l’asphyxie pas financièrement, car les dettes contractées pour construire l’amphithéâtre semblent avoir été remboursées dès avant 1592. » (Olivier Spina, « La Veuve et le Menuisier » (https://doi.org/10.3917/rhmc.624.0089)
Pour en revenir à aujourd’hui, au-delà des mesures sanitaires et des faits objectifs ou des recherches et tests en cours, les émois autour de la fermeture des théâtres (appelant cette fermeture ou la regrettant) sont aussi liés à la conjonction entre la représentation symbolique de l’attitude en temps d’épidémie (la distance, l’écart, la dissolution du social, l’isolement des individus) et la charge symbolique du théâtre (le corps vivant, une communauté rassemblée, un lieu de paroles et de souffle).
Pour les théâtres ainsi fermés aujourd’hui, la difficulté se pose à plusieurs échelles:
- Les pertes financières (défaut de billetterie) touchent tous les théâtres, mais particulièrement les théâtres privés dont d’est une source de revenu essentiel par comparaison avec les théâtres publics où les subventions de l’état et des collectivités territoriales amortissent un peu.
- La fragilisation du tissu des compagnies qui irriguent les théâtres: moins subventionnées voire non subventionnées, les compagnies sont privées de ressource, d’où les demandes d’extension de « l’année blanche » du régime des intermittents et les difficultés pour rémunérer les permanents (administratifs, comptables, chargés de diffusion).
- La complexité des programmation entre spectacles non reprogrammés, spectacles reportés (parfois plusieurs fois) et spectacles de la saison à venir Non seulement les lieux ne peuvent absorber des saisons doublées, mais c’est toute la production qui est affectée (décaler des répétitions, trouver des lieux…).
- La fragilisation du lien avec les spectateurs, avec les publics, que les théâtres ont tenté de compenser par des captations, événements en ligne, voire des formes numériques.
- La crainte plus diffuse que les fermetures et économies exceptionnelles réalisées en contexte épidémique ne constituent les socles d’une règle à venir, d’essence néo-libéral, qui prendrait acte du caractère « inessentiel » du spectacle vivant. Ce que mMatthias Lnghoff pointait: » Pourtant il y a bien dans cette crise, que nous appelons encore « crise du Corona » au lieu de l’appeler crise du système, une opportunité. Qu’il ne puisse y avoir de représentations publiques ne signifie pas qu’on ne puisse produire dans les lieux de représentations – la seule chose qui s’y oppose, pour l’industrie culturelle publique, c’est le virus AVP (Achat-Vente-Profit) » (Lettre ouverte à Nicolas Royer).