Rapt de Lucie Kirkwood par Chloé

L’histoire de Noah et Céleste Quilter, fiction ou réalité ? A travers sa mise en scène du texte anglo-saxon de Lucy Kirkwood, la comédienne et metteuse en scène Chloé Dabert semble mêler le théâtre et la fiction.

Rapt propose la reconstitution des moments de vie et des drames qu’on connu Noah et Céleste, au temps des réseaux sociaux et de l’omniprésence de la cyber-activité. Pour autant, face à un pacte de véracité suggéré au début de la pièce, qui faut-il croire ou à l’inverse, de quoi faut-il se méfier ? En questionnant notre rapport à l’information, Chloé Dabert inscrit sa pièce dans une sorte de compte-rendu d’enquête conté par une narratrice, sur un fond de huit clos domestique où le couple vit et évolue sous les yeux des spectateurs. Le spectateur lui, semble être le témoin de la progressive chute des deux individus, qui sont de plus en plus piégés dans le flux des médias. Ainsi, face à cette mise en scène qui emporte, convoquant même épisodiquement la salle, bon nombre de spectateurs ont semblé oppressés et suspendus à une histoire prenante, jusqu’à faire tarder inconsciemment les applaudissements, notamment lors de la représentation du 6 novembre 2024 à laquelle j’ai pu assister, illustrant la perte de repères entre fiction et réel qui a pesé sur la conscience du public.

La représentation s’ouvre singulièrement sur la projection d’un texte, presque comparable à une sorte de pacte de vérité romanesque : le public est prévenu du contexte d’écriture de la pièce, de l’interdiction de la jouer en Angleterre et de la pression pénale qui pèse sur la diffusion de l’histoire du couple. Ce premier pan de la représentation introduit ainsi l’ancrage dans le réel que l’on retrouve sur plusieurs aspects de la pièce : on peut penser aux nombreuses références à l’actualité notamment (au prince Harry, à la crise du Covid avec les applaudissement de 20h…etc). Ce rapport au réel se place dans une mise en scène elle-même réaliste : on retrouve un jeu très naturaliste entre les acteurs, qui présente des gestes et des actions du quotidien, dans une scénographie qui recrée un intérieur d’appartement réaliste, pour que le spectateur s’y plonge notamment. Avec le support de cette scénographie, on retrouve une impression d’un « aquarium », où le public est témoin de scènes quotidiennes à travers une distance instaurée par une sorte de verrière. Ainsi, le public est positionné comme un observateur comparable aux caméras de surveillances braquées sur le couple, pouvant provoquer une certaine tension et une atmosphère pesante (témoin impuissant de la spirale qui aspire le couple face à lui). La forme de la scénographie choisit par Chloé Dabert amène donc à une ambiance particulière autour d’un drame clos, qui souligne l’aspect reclus du couple qui se renferme de plus en plus sur lui même, qui sort de moins en moins pour ne plus s’exposer, qui apporte une tension au fur et à mesure de la pièce. Cette ambiance mise en place par ce sentiment de surveillance fait écho à l’usage du support visuel ponctuellement au sein de la pièce : extrait de caméra de vidéo surveillance, extrait de « state of awake », ou encore fausses images du couple, tout ce rapport à l’image souligne la question du contexte de surveillance qui pèse sur le couple. Même le support audio de l’hors scène apporte encore à une montée d’un cran de la tension qui pèse sur les acteurs, mais surtout sur le public : la voix du digicode se veut menaçant car elle ne repose sur aucun corps (et d’autant plus, sur un objet électronique qui est synonyme de menace pour le couple), les bruits de coups sur la porte convoquent le monde extérieur dans une représentation close par sa forme scénique, ou encore avec la piste audio du couple qui convoque les voix d’un couple que l’on sait mort très tôt dans la pièce.

Le rapport au public est aussi important à interroger : à travers l’adresse, entre une narratrice qui présente le cas des Quilter, face public la plupart du temps, un couple qui ne le prend en compte qu’épisodiquement (au début notamment, avec le récit du rendez-vous), mais aussi avec la convocation du public sur scène (avec l’apparition de la narratrice ou de la pseudo Lucy Kirkwood de la salle, l’emprunt d’un téléphone à un spectateur…etc). Le lien avec la narratrice est assez privilégié, qui est un personnage plutôt à part dans la représentation, dans la mesure où elle fait avancer la fable en relatant les faits, en les présentant en images ou au son, sans faire partie de la fable des Quilter. La singularité du personnage, indépendant des scènes de vie du couple, amène à la création de 2 espaces de jeu qui ne se contaminent d’abord pas, jouant chacun un pan de l’histoire, qui ne sont même pas toujours dans une parfaite résonance (ce que dit la narratrice n’est pas parfaitement en écho avec ce qui se joue derrière la verrière, jouant encore une fois sur le doute des spectateurs, le forçant à se demander qui croire) avant que la narratrice ne s’aventure, comme un fantôme, à l’intérieur de l’espace habité. Tout cette question autour du décalage entre le discours et les scènes de vie est alors un engrenage de plus amenant le spectateur à penser la véracité du récit présenté sur scène.

Lola M.