Les étudiants de théâtre d’hypokhâgne du Lycée Malherbe ont le plaisir de vous convier aux représentations de leur projet de fin d’année « Nous ne sommes pas des pions » (en traduction) le jeudi 15 et le vendredi 16 juin à 20h à l’amphi Ponge.
Les répercussions géopolitiques des conflits actuels peuplent nos écrans et nos vies; ils ne cessent de nous bousculer, nous angoissent, nous font sombrer dans l’hébétude ou dans l’habitude. Ils se jouent à deux heures d’avion en ce moment même, et pourtant nous nous sentons tantôt distants et éloignés, tantôt démunis et affligés. Le projet mené par les étudiants de théâtre d’hypokhâgne avec l’autrice, metteure en scène et actrice Céline Ohrel, avec le partenariat de la Comédie de Caen, tente de remplir ce vide, ce fossé par le théâtre.
Ce projet croise trois dramaturgies des pays au premier plan des tensions à l’Est de l’Europe : dans Maïdan Inferno, Neda Nejdana reconstitue le vécu des Ukrainiens qui ont affronté la répression violente et autoritaire pour s’émanciper en 2014 ; c’est un soulèvement comparable de la population ordinaire biélorusse en 2020, brutalement réprimé encore aujourd’hui, qui nourrit les Voisins de Sergueï Guindilis ; c’est enfin l’itinéraire documentaire de Tatiana, qui tente de quitter la morosité de la vie moldave pour les sirènes du rêve américain puis russe, croisée avec l’exploration des manipulations géopolitiques, qui constitue la trame d’American Dream de Nicoleta Escinencu.
Des œuvres qui résonnent entre elles par la géopolitique mais aussi par l’actualité : comment le théâtre est-il en prise sur le réel immédiat, attaché à des œuvres composées dans la chaleur des événements ? Comment évoquer ce qui est quasiment pour nous, les derniers mois nous l’ont appris, ici et maintenant tout en conquérant un point de vue, une distance, un recul sur ce tourbillon du présent ?
Le théâtre n’est pas seulement l’écho du monde extérieur ; il change rarement le monde, mais il permet de changer un monde, notre vision du monde. Les trois pièces montées ensemble inventent et amènent chacune leur écriture, leur choix de style, de registres, pour évoquer le réel sans y sombrer. Maïdan Inferno nous plonge avec réalisme dans les heures de résistance de protestataires, dans le monologue de leur conscience ; American Dream associe la parole documentaire et l’humour corrosif du théâtre agit-prop ; le théâtre documentaire des Voisins porte les voix authentiques de gens ordinaires — mère de famille, policier, touriste, médecin — pris dans le protestation puis la répression ultra-violente de la plus vieille dictature actuelle en Europe.
Cette diversité des dramaturgies est une richesse et un défi pour le plateau: mettre en jeu les ressources du théâtre pour passer des douleurs individuelles au destin des nations, se réapproprier la géopolitique par la liberté et le plaisir du jeu, tout en conservant le respect et l’émotion envers les drames vécus, les souffrances réelles que les dramaturges ont déposées en nos mains. Car la matière tient bien à ces individus, témoins, victimes et acteurs de ce début de siècle tourmenté, qui y ont appris la résistance ou la résilience. Les étudiants de théâtre de HK s’emploient donc par les simples moyens du théâtre à se saisir de monde complexe à représenter, à inventer des formes pour s’identifier à ces figures comme pour s’effacer aussi derrière la parole originelle du témoin, à traverser le pathétique comme l’humour, à rendre compte des lois (parfois malades) de ce monde comme à en réinventer les règles du jeu sur le plateau.