Qui a tué mon père, d’Edouard Louis, mis en scène et interpréta par Stanislas Nordey, Panta théâtre le 02/12/19
La scène du Panta théâtre à Caen accueillait une pièce touchante et extrêmement prenante adaptée de l’œuvre de Edouard Louis, Qui a tué mon père,ce lundi 2 décembre. Mis en scène et interprété par Stanislas Nordey, le texte poignant prend vie devant les spectateurs, les saisissant avec force et émotion dans le style toujours très direct de l’auteur. Si les mots d’Edouard Louis étaient déjà justes et touchants ainsi que travaillés dans le but d’une mise en scène en collaboration avec l’acteur du TNS, l’enjeu de sa collaboration avec Stanislas Nordey était bien d’adapter la forme théâtrale à son propos.
On constate ainsi clairement dans la mise en scène de Nordey un découpage dévoilant les deux axes principaux de la pièce : entre intimité et politique. Alors que le personnage qu’interprète Nordey relate l’oppression et l’étouffement qu’il a vécu vis-à-vis de son père durant toute son enfance, bloquant par moment un lien entre eux pourtant bien présent, arrive le paroxysme de la réconciliation qu’il a entamée depuis le début de son récit.
Première effet surprenant de ce spectacle : le père n’a pas la parole, il n’y a que son fils pour le décrire et le rendre vivant, il n’a d’ailleurs pas même un acteur pour le représenter mais est tout de même sur scène par la présence de quatre mannequins qui arrivent progressivement le long de la pièce. L’usage de ces mannequins est tout à fait particulier. Le père est de ce fait extrêmement présent sur scène, tant dans les propos que visuellement, pourtant le caractère inerte des statues donne une image de lui figée, tout comme la définition qu’on a de lui dans les premiers temps de la pièce, et sèche, à la manière du caractère qu’on lui décrit. De plus, on n’aperçoit jamais le visage des mannequins, suggérant peut-être qu’on ne sait pas tout de ce père qui cache derrière une apparence « virile » (un peu trop ?) et stricte, une fragilité humaine. Le fils, qui témoigne de la force qu’exerçait son père sur lui, a en fait lui-même le pouvoir sur son père dans cette pièce. Face à ce corps immobile et impuissant, le fils libère sa parole, car la discussion reste impossible, il ne craint rien, il bouge dans l’espace, se l’approprie beaucoup plus que le père. Le sol orange, en accord avec les vêtements du fils, nous indique que la scène est imbibée de ses souvenirs, ses traumatismes et ses opinions.
C’est d’ailleurs ce même fils qui dirige le déroulement de la pièce. Nordey entame ainsi un moment tout à fait étonnant lui aussi en s’asseyant à cour sur une chaise et en chuchotant dans un micro. Il fait part au public d’un moment précis où il a réalisé la fierté qu’avait son père pour lui, mais cela semble être en fait plus pour lui-même. Cette scène marque un tournant vers la deuxième partie, davantage politique et bien plus emplie de pitié envers son père que dans la première puisque le personnage cherche à présent à comprendre « la mort sociale » de son père.
Les mannequins renvoient d’ailleurs aussi au corps du père, abîmé par le travail, usé par le temps et achevé par la société. C’est l’élément déclencheur d’une réflexion sur la condition de la classe populaire, leur vulnérabilité au sein de la société et leur culpabilité imposée vis-à-vis des autres individus lorsque les membres de cette classe ne travaillent pas. Le père est pris en pitié, déculpabilisé par le « véritable coupable » de son attitude : la domination sociale. Le père est ainsi paradoxalement au centre de la pièce par rapport au fils.
Edouard Louis qualifie lui-même son art comme une « littérature de la confrontation » et de fait, cette pièce constitue des scènes de confrontation, avant tout visuellement, bien que la réconciliation soit aussi de mise. Qui a tué mon père forme ainsi pour le public un moment de profonde réflexion, d’émotions et de bouleversements, accordant ces éléments à la manière d’un orchestre mal accordé où la métamorphose du fils accusateur vers le fils vulnérable mène à expliquer chaque élément de la vie des personnages par la détresse sociale à laquelle ils font face.
Charlotte D.-H