LA COLERE AU THEATRE

Vive émotion de l’âme se traduisant par une violente réaction physique et psychique. La colère est une expression de l’immédiat mais aussi une mise à nu de soi. Elle est une émotion très physiologiquement incarnée : yeux exorbités, rougeur, rythme cardiaque accéléré, agitation, transpiration, divagation, vociférations. La colère est une émotion qui concerne la totalité de l’être, de sa voix à son enveloppe psychique. La colère, au départ, peut avoir une sensation douloureuse, mais la crise de colère purge et produit une certaine autosatisfaction. De plus, la colère a toujours besoin d’un destinataire (même absent), on peut même être en colère après soi-même et dans ce cas, cette colère peut restaurer la force et la dignité du sujet.

De plus, le droit de se mettre en colère est une liberté individuelle inaliénable. Et, il n’y a pas de pire privation que celle du droit élémentaire à la colère, qui reste la condition minimale de l’humanité.  

Définitions :

·     La définition physique de colère : « l’ébullition du sang qui entoure le cœur »

·     La définition dialectique : « le désir de rendre offense pour offense, ou quelque chose de ce genre »

Distinguons « colère » et « fureur » : La fureur (furor) : une colère intense, aux effets souvent démesurés. La fureur marque le paroxysme, un état de crise exceptionnel.

« colère » et « indignation » :

–       La colère vise toujours un objet singulier concret, souvent nommé. Il s’agit de restaurer un état perturbé et pas d’anéantir l’objet de la colère

–       L’indignation est plus altruiste, dans le sens où son déclenchement présuppose un critère d’évaluation plus haut et surtout désintéressé tourné vers autrui. L’indignation suppose l’absence de tout intérêt personnel (nemesis : indignation légitime).

La colère est très immédiate mais elle aussi « théâtralisée », elle est toujours un spectacle. Elle est un pic d’énergie dans la représentation, lié au rythme notamment. Mais, la colère est une émotion authentique, qu’on ne peut pas (ou difficilement) simuler. Le comédien ne fait qu’imiter au mieux l’émotion de la colère. Même si la colère est difficile à éprouver pour l’acteur, elle a un avantage car elle a un profil physique et vocal très reconnaissables. Il est intéressant de remarquer qu’il y a des émotions que l’on peut reconnaître simplement au son de la voix, et particulièrement la colère. Il est aussi utile de remarquer ici, qu’il semble être plus facile de simuler une émotion négative telle que la colère qu’une émotion positive comme le bonheur.

Intrascénique, la colère cherche à exprimer ou souligner un problème. Si un personnage éprouve de la colère c’est que quelqu’un ou quelque chose l’a provoqué. Chez un personnage, la colère peut être marqué par des interjections dans son discours comme par exemple lorsque Alceste dans Le Misanthrope de Molière répète : « Allez ». Les personnages peuvent aussi user d’hyperboles comme « mourir de pure honte », « scandaliser » (toujours Alceste dans Le Misanthrope). Le déchaînement de la colère peut se voir aussi dans la rythmique d’un dialogue. Les stichomythies peuvent expliciter la colère d’un ou plusieurs personnages. Un dialogue rapide dans lequel les personnages se répondent du tac au tac ou bien même se coupent la parole les uns les autres peut être un procédé propice pour jouer la colère, de même qu’un monologue ou un soliloque dont le rythme serait ascendant ou syncopé..

La colère est donc une émotion que l’on retrouve régulièrement au théâtre. De nombreux personnages l’éprouvent comme Alceste, mais aussi comme Danny dans Orphelins de Kelly qui se met en colère contre sa femme qui souhaite protéger son frère possiblement auteur d’un meurtre. Dann, tout comme Alceste, cherche la confrontation, il exprime son opinion mais ne se faisant pas entendre, il s’assoit et se referme sur lui-même et sur sa colère. Danny bouillonne sur sa chaise, son sang doit probablement être ébullition autour de son cœur.

Comment la colère d’un personnage peut affecter le spectateur ? Dans le texte de Lars Norén, Le 20 novembre, on retrouve un jeune homme de 18 ans, très en colère contre le monde. Tellement en colère, qu’il en vient à planifier un massacre. Ce jeune Sébastian explique les raisons de sa colère, on comprend alors que cette colère a été nourrie pendant des années. Le jeune homme utilise des mots forts, il tient des propos percutants, des propos racistes qui sont terribles (voire insupportables) à entendre. Le spectateur se retrouve comme pris en otage, il est lui aussi submergé par ses émotions. Or, le spectateur n’est pas en colère comme le jeune homme, il peut être dégoûté des propos tenus, il peut avoir peur (puisqu’aujourd’hui ces mots ont une résonnance particulièrement), il peut être attristé car tout de même ce jeune garçon exprime une souffrance profonde. En effet, la colère intrascénique produit rarement une colère extrascénique mais plutôt le plaisir ou de l’empathie (une solidarité avec le personnage), ou voire même le ridicule ou le déplaisir. L’indignation du spectateur remplace d’ailleurs l’absence de colère exprimée sur scène, comme par exemple à la fin de Légendes de la forêt viennoise.

Quant au spectateur, peut-il ressentir de la colère au théâtre ?

        Le spectateur est moins à même de ressentir de la colère mais plus de l’indignation. Un spectateur peut s’indigner d’une situation, comme par exemple dans Harlem Quartet avec les multiples récits dans lesquels les personnages sont victimes d’actes racistes insupportables car la colère est liée à une représentation de soi, une atteinte à l’image de soi qu’on entend restaurer.

La colère extrascénique suppose une atteinte à la dignité du spectateur donc elle reste davantage une réaction au projet esthétique du spectacle qu’à une situation dramatique (qui crée l’indignation). Par exemple, la colère peut être le résultat d’un jugement axiologique de la part du spectateur. Sur le concept du visage du fils de Dieu de R. Castellucci est une pièce qui s’est attirée les foudres des catholiques intégristes. La pièce suscite de nombreuses et violentes manifestations. La pièce met en scène un vieil homme incontinent dont le fils avec une véritable patience le change et le nettoie aussi bien qu’il le peut. Au milieu de cette scène de vie crue, trône le visage de Jésus Christ. Pour de nombreuses personnes il est intolérable de voir le Christ associer à une telle étape de la vie. Ils jugent les scènes « blasphématoires », car elles ne reflètent pas leur vision de la religion et qu’elle peut même lui porter atteinte. La colère monte, parce qu’ils refusent d’accepter une telle interprétation, si bien, que la scène finale finira par être censurée lors de certaines représentations. LA colère est alors une émotion liée au projet esthétique.

Louise P.

Sources :

Arts et Emotions : « colère » ; Aristote, Éthique à Nicomaque ; Descartes, Discours sur les passions de l’âme, Aristote, La Rhétorique ; Géraldine Dupla, La voix au théâtre vecteur d’émotion ; Molière, Le Misanthrope ; Kelly,Orphelins (mise en scène par M. Legros et S. Lebrun) ; Élise Vigier (à partir d’une œuvre de James Baldwin), Harlem Quartet ; Lars Norén, Le 20 novembre ; Légendes de la forêt viennoise (mise en scène par Yann Dacosta) ; R. Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu. (LP)